Rêves d'amour et de mariage anciens et modernes
Cet article est la reprise d'un élément de cours consacré aux rêves de vie en lien avec le thème de BTS 2014-2015 "Cette part de rêve que chacun porte en soi". Il est aussi utile dans le cadre d'une réflexion sur la condition de la femme, je pense notamment aux préparations pour certains concours sociaux et paramédicaux.
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"Le Fardeau des pères", gravure à lire de façon interactive sur : http://mariage.uvic.ca/anth_doc.htm?id=fardeau_des_peres |
Parmi les rêves les plus courants, celui de la possession de l'amour est l'un des plus prégnants. Et il paraît d'autant plus légitime qu'il semble être régi par des lois biologiques et sociales. D'ailleurs de nombreux textes littéraires font référence sans difficulté à quête de l'amour. Elle est ancestrale et persiste dans nos représentions modernes, quelles que soient ses définitions.Car c'est là qu'il faut nuancer car le concept d'amour et son lien en particulier avec une union permanente comme le mariage a fluctué en fonction des cultures et des âges. La définition de l'amour est donc culturelle et dépend des différentes civilisations. Aujourd'hui, malgré la perte de l'obligation du mariage, subsiste la recherche de la vie à deux et la création du couple voire la fondation d'une famille (le foyer tel qu'on le trouvait déjà dans les cultures antiques).
Or, si on étudie
les représentations de l'amour préexistantes à
celles qui nous sont contemporaines, on distinguera deux types de
relations qu'on appellera « amoureuses »: les
relations encadrées par la société dont le
mariage avec ses formes d'amours autorisées: amitié,
affection, sexualité entre un homme et une femme réunis
sous le terme englobant d' « amour conjugal »;
et les relations dites non contrôlées hétéro
ou homosexuelles qui relèvent principalement de la sexualité
non conjugale ( liaison, prostitution) voire d'un lien amoureux
potentiellement passionnel.
La quête de l'amour
comme on l'entend aujourd'hui n'est donc pas un modèle ancré
de toute éternité dans notre société, il
ne se justifie donc pas de ce point de vue et pourra donc poser
question par la suite.
Des amours mythiques ...
Tout
d'abord, historiquement, le rêve du couple choisi et de l'amour
idéal est le plus ancien, en effet il prend ses racines dans
les mythes grecs de l'Androgyne voire de l'Hermaphrodite.1
Chez
PLATON, les êtres humains ont été précédés
d'individus sphériques, à la fois homme (andro) et
femme (gyne). Ces personnages représentaient donc la
perfection (en lien avec le cercle). Mais la colère des dieux
les sépara du fait de cette perfection qui les apparentait à
l'idéal divin. Cet orgueil de s'égaler aux dieux
s'appelle hybris ([ubris]), il se retrouve chez les héros
(demi-dieux) qui s'opposaient aux lois divines (Prométhée
le voleur de feu, Tantale, Sysiphe). L'image de l'hermaphrodite (schématiquement :qui présente les caractères sexuels des deux genres) quoique plus réaliste renvoie à ce même mythe de
l'union parfaite de deux êtres. La recherche de l'âme-soeur
est donc légitimée par ce mythe, trouver l'être
qui nous complète est donc un juste retour à une
situation antérieure. L'image du couple qui se dégage
est donc celle de la perfection mythologique.
L'idéalisation
de l'amour comme union inaltérable de deux êtres qui se
sont choisis se trouve par la suite dans d'autres mythes grecs. On
peut penser au mythe de Philémon et Baucis, couple aimant qui
refusant de se séparer par la mort fut métamorphosé
en arbre. Les personnages se suicidant face au décès de
leur amant(e) abondent, Pyrame et Thisbé (personnages
mythologiques repris dans des tragédies au XVIIème
siècle) accomplissent ainsi ce destin face à la mort
présumée de leur amant/maitresse.
et contemporaines chez les adolescentes
Les
rêves d'amour actuels semblent inspirés directement de
ces mythes, il subsistent dans de nombreux romans modernes et films.
L'amour qui y est valorisé est un amour qui repose sur un
idéal : l'objet de l'amour est doté de toutes les
perfections (le « mythe » du prince charmant
subsiste encore de façon détournée chez de
nombreuses jeunes filles), l'amour semble devoir durer éternellement
et la fondation d'un couple est souvent perçue comme le but
ultime de la relation naissante. L'amour peut prendre la forme de la
passion, de sentiments intenses, surtout si le jeune couple est en
opposition avec leurs familles. Dans les cas extrêmes, il peut
conduire à la mort (suicides d'adolescents principalement pour
lesquelles cette vision de l'amour est encore très prégnante,
syndrome Roméo et Juliette, rappelons que Juliette a
14 ans dans la pièce ).
Cette
image de l'amour est en particulier véhiculée par la
littérature à cible adolescente (Twilight :
l'amour au prix de la mort), la chick lit (« littérature
de poulette », Bridget Jones) voire la vogue du
mummy porn (Fifty Shades of Grey). L'image de l'amant
se rapproche de celle de ce prince charmant: Edward est beau et
mystérieux, Christian Grey est beau, riche et charismatique.
Dans tous les cas, l'amour est aussi un danger pour la jeune fille,
mais en triomphant de tous les obstacles (les éléments
perturbateurs du schéma narratif du conte de fées2),
elle finira par former un couple parfait avec son amoureux dans le
cas des trois romans cités.
Un idéal amoureux bien loin du mariage ancien
De
fait, le serment canonique du mariage chrétien nous paraît
logiquement rappeler cet idéal de l'amour à la mort
(tout en interdisant le suicide anti-religieux) (« Jusque
la mort vous sépare »).
Mais
en réalité, l'idéal de vie chrétien puis
catholique a au contraire permis l'émergence d'un certain type
d'amour, celui que je qualifiais au-dessus de « contrôlé ».
En effet, contrairement à l'image du mariage développée
depuis le début du XXème siècle, l'amour choisi
voire passionnel évoqué précédemment
n'est pas compatible avec le mariage. Le rôle du mariage est
d'associer deux familles, d'agrandir les biens de celles-ci (terres
ou richesses), il est conclu par les chefs de famille (le père
en général) et vise pour la société à
générer des alliances intéressantes. Au regard
de la loi religieuse, le mariage permet de sacraliser la relation
sexuelle et la conception des enfants. Il régule la sexualité
en particulier en protégeant les femmes des assauts masculins
(selon certaines théories) et permet aux hommes
d' « épancher » leurs désirs
tout en limitant la prolifération des prostituées et
des maladies vénériennes (les IST de l'époque).
L'amour
développé dans le mariage est un amour fait de
convention et de respect (normalement) envers le conjoint. Il n'est
pas un amour choisi ni surtout passionnel. Dès l'Antiquité,
on moque celui qui témoigne un amour excessif à sa
femme. D'ailleurs, il s'agit pas d'une relation égalitaire, la
femme est soumise à son époux comme elle était
soumise à son père avant les noces.
L'amour
tel qu'on l'entend aujourd'hui fait de sentiments intenses et de
sexualité libre (rappelons qu'on conseillait aux maris de ne
pas trop en montrer à leur femme pour elles n'aillent pas
expérimenter ces plaisirs hors du lit conjugal) ne pouvait se
vivre qu'en dehors du mariage ou ... en rêve.
Le mariage comme modèle de réussite sociale pour la femme
Parallèlement,
un idéal du mariage s'est mis en place, il a été
vu comme une fin en soi pour la femme tandis que la réussite
sociale était l'apanage de l'homme, ce qui explique d'ailleurs
l'âge plus tardif du mari qui devait avoir acquis une
« situation » lui permettant d'entretenir femme
et enfants par la suite. Les jeunes filles ont donc été
éduquées à faire de bonnes épouses
(cuisine, couture, ménage) avec des suppléments dans
les milieux plus aisés (lectures sérieuses et
religieuses, musique et cours de maintien) leur assurant de savoir
tenir leur rang et leur maison lorsqu'elles seraient mariées.
De ce fait, se sont développés des ouvrages vantant
cette perfection de la femme mariée, nous n'entrerons pas dans
les détails, mais si on simplifie beaucoup, il suffit de se
rappeler la fin des contes de fées: « ils se
marièrent et eurent beaucoup d'enfants ». Il
n'existe pas de suite à l'aventure de l'héroine, elle
se marie, fait des enfants et n' a plus rien à désirer
puisqu'elle est comblée en épousant son prince.
Le
mariage et l'amour qui y conduit sont donc vus comme la principale
affaire des femmes, ce qui explique le développement des
romans qui ont ces thématiques pour sujet. Vont donc
s'affronter deux types de littérature: celle qui a le mariage
pour but et celle qui valorise un amour hors mariage qui permettra à
la femme, mariée principalement, de s'échapper de son
quotidien. Cet amour sera forcément hors-norme pour faire
rêver celle que l'on n'appelle pas encore la « ménagère
de moins de cinquante ans ». Les contes de fée de
l'enfant, les romans Harlequin qui existent encore ont contribué
à la mise en place d'une représentation d'un amour
rêvé.
L'amour : un idéal à atteindre
Tous
ces éléments culturels ont permis d'ancrer le fait que
l'amour est un but en soi et qu'il doit être sublime si on suit
l'idéal antique.
Sublime,
il l'est forcément par son mode de fonctionnement. Bien
souvent, on se met à valoriser puis à idéaliser
l'objet de notre amour. Dans un premier temps, il est paré de
toutes les grâces (il est drôle, beau/belle, etc) puis
avec la réalisation des désirs, la sublimation diminue,
l'autre redevient à nos yeux ce qu'il est : un individu
lambda. Parfois, il en devient même moins attirant. Ce
phénomène que l'on connait tout (le fameux « Mais
comment j'ai pu sortir avec lui/elle? ») a été
décrit par STENDHAL (1799-1850) comme étant une
opération de « cristallisation ». Dans
De l'Amour (1822), il compare cette étape du fait de
tomber amoureux à ce qui s'opère dans les mines de sel
en Allemagne. Une simple branche dépouillée de son
feuillage finit par s'y transformer en rameau brillant par l'action
des cristaux de sel qui s'y déposent. Ainsi fait l'amour, il
transforme en objet digne et brillant un être banal.
De
multiples mouvements culturels ont développé cet
aspect de la sublimation de l'amour pour en faire un sentiment idéal
et surtout dématérialisé. Face à la
frustration à laquelle était contrainte officiellement
une partie de la population, des idéaux de contournement se
sont mis en place.
On
pourra penser à l'amour courtois (fin'amor) du
Moyen-Age qui développe l'image d'une dame de rang supérieur
qui va donc gouverner son amant et qui exclura (normalement) tout
amour charnel réservé au mari. L'amant devra surmonter
les épreuves soit réelles (Lancelot dans les romans de
la Table Ronde avant de pouvoir accéder à Guenièvre,
le femme d'Arthur), soit plus symboliques (l'asag, dormir avec
sa dame sans union charnelle).
Par
la suite, au XVIIème siècle, le mouvement précieux
(préciosité) valorisera une relation complexe entre
hommes et femmes et surtout la plus pure possible en opposition à
l'image grossière véhiculer par la mariage. La
préciosité visait notamment à épurer le
langage et à promouvoir une image plus intellectuelle de la
femme, non limitée aux soins de la maison et des enfants (Les
fameuses Précieuses Ridicules de MOLIERE).
Ces
aspirations d'un amour parfait seront donc reprises au début du XIXème
avec HUGO, LAMARTINE et STENDHAL par le biais de l'amour romantique
dans lequel la femme est idéalisée. Publié en 1857, le roman Madame Bovary de FLAUBERT fait la part belle à cet idéal vieilli. Contaminée par les souvenirs du romantisme (les promesses et amours impossibles, les promenades en barques et les clairs de lune) et ses lectures romanesques (les enlèvements et les amours adultères), Emma devient l'exemple du bovarysme et court à sa perte.
Déformées
aujourd'hui, ces représentations sont de plus en plus battues en brèche néanmoins et font l'objet de multiples réflexions sur le conditionnement des jeunes filles, les espaces masculins et féminins, les conceptions religieuses ou sociales qui perpétuent certains phénomènes et les stéréotypes parfois inconscients qui nous régissent au quotidien.
Pour approfondir la question, lire notamment Simone de BEAUVOIR (Le Deuxième Sexe), Elisabeth BADINTER (L'Amour en plus), Serge CHAUMIER (La déliaison amoureuse, citée en note).
1Rappellé
dans La déliaison amoureuse, De la fusion amoureuse au
désir d'indépendance de Serge CHAUMIER, Petite
Bibiothèque Payot, ed. Payot
2Schéma
narratif quinaire du conte selon Vladimir PROPP Morphologie du
conte
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