Fiche de lecture : Mémoire d'un fou d'Emma, Alain FERRY, Fiction & Cie, Seuil, 2009
Le lecteur un peu spécialiste de
Flaubert aura reconnu un titre directement inspiré des
Mémoires d'un fou, ouvrage de jeunesse autobiographique qui
sera la première expression de l'amour que porte Frédéric
Moreau à Madame Arnoux dans l'Education Sentimentale.
Le fou d'Emma en question est un
écrivain de seconde zone, bâclant des romans
alimentaires. Délaissé par sa compagne Eva, agrégée
en Lettres Modernes, il superpose à son amour envolé
avec un capitaine de bateau, l'image d'Emma, la Bovary fixée
immuablement dans sa Normandie et la Littérature. Il s'espère
s'en guérir en rédigeant ce Mémoire d'un fou d'Emma,
analyse méthodique de la figure belle et sensuelle d'Emma.
Dans un contexte pédagogique, le
roman vaut pour l'érudition déployée par
l'auteur. Mais cette érudition est noyée dans un style
pompeux au début du roman et qui peut décourager un
lecteur rebuté par les termes rares.
Qu'en retenir donc?
Tout d'abord, les nombreuses
descriptions de la physionomie voire de l'anatomie d'Emma sont à considérer. S'aidant
des brouillons, le narrateur prolonge le texte édité de
Flaubert et révèle son insistance sur certains détails.
La main tantôt dépréciée (« pas
belle, point assez pâle peut-être, et un peu sèche
aux phalanges »), tantôt valorisée («blanche
et longue ») est décrite à plusieurs
reprises; la poitrine, qui fait d'Emma une femme voluptueuse comme
l'Eva perdue, devient source de rêveries pour le narrateur ; enfin, il s'attarde sur la bouche d'Emma et trouve de multiples
allusions aux pratiques sensuelles de celle-ci.
Mais aussi, un élément
peut attirer l'attention, l'insistance de Flaubert à propos du
pied d'Emma et par assimilation à son chaussant. Une première
version de la scène de l'extrême-onction, où
conformément au rite les yeux, le nez, la bouche, les mains
puis les pieds sont oints de l'huile sainte des mourants, voit
Flaubert s'attarder sur les souvenirs de la nuit de noce de Charles
dénouant le ruban de satin des souliers blancs de sa jeune
épouse. Une autre phrase concernant Léon, le jeune
amant d'Emma, renvoie aux bottines : « Au craquement des
ses bottines, il se sentait lâche comme les ivrognes à
la vue de liqueurs fortes ». La référence
aux souliers apparaît dans un cadre intime voire érotique,
elle s'apparenterait à une tendance au fétichisme pour
Flaubert. Cette hypothèse est confirmée par Maxime Du
Camp qui lui reproche de trop s'étendre sur ce sujet ( « Que
le diable t'emporte avec tes bottes, il n'est question que de cela, 5
ou 6 fois au moins : c'est une maladie », Lettre du 23
septembre 1856).
Enfin sur le thème des objets
toujours, le roman énumère le rapport au vêtement
d'Emma, ce que l'on appelait le « linge ». Selon le narrateur, un passage aurait été particulièrement visé
par le procureur Pinard lors du procès en immoralité
fait au roman : celui où Justin, aide du pharmacien Homais,
s'attarde à contempler le linge d'Emma ( « des
pantalons à coulisse, vastes de hanches et qui se
rétrécissaient par le bas »). A plusieurs
reprises, cette fascination du jeune homme est évoquée
par rapport à la jupe ou aux dentelles d'Emma, mais Rodolphe
et Charles sont eux aussi définis par leur rapport à
ces affiquets : « Le frôlement de la robe bruissait
un peu entre ses cuisses » (brouillon du retour de chez la
nourrice d'Emma et Rodolphe), « Son univers pour lui
n'excédait pas le tour de sa jupe » (à propos de
Charles). Le vêtement est donc une métaphore du corps
qu'il contient.
Enfin,les nombreux approfondissements
des relations entre les personnages de Flaubert sont aussi le
ressassement de l'amant abandonné qui se complaît dans le
souvenir de la maîtresse. Blessé dans son amour-propre
d'homme, le narrateur suppute les rapports entre Eva et son marin et
les compare aux échanges amoureux d'Emma et de ses hommes. Par
le prisme d'Emma, c'est la figure d'Eva qu'il convoque sans cesse. Se
croisent donc les souvenirs de la rencontre, de la vie à deux,
des habitudes. Les relectures de Madame Bovary, des brouillons, des
lettres à Louise Colet, la maîtresse elle aussi de Flaubert et
écrivain également, permettent de projeter avec force
puis de plus en plus faiblement le reflet de ce qu'était Eva.
Le roman s'achève donc inexorablement sur la suite recherchée,
le narrateur oubliera Eva, car toute douleur s'apaise par le temps et
les souvenirs s'effacent.
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